Musique et montage Françoise ROMIEUX - Dessins et texte Edith Gorren
Il était une fois, dans la forêt immense de Nouvelle Sauvagine, une jolie belette prénommée Sidonie.
Alors que ses sœurs jouaient inlassablement à se poursuivre et à se mordiller avec amour, elle passait le plus clair de son temps à se mirer dans tout ce qui lui tombait sous la patte, depuis la mare du coin jusqu’au miroir abandonné par une promeneuse humaine fort distinguée « sans doute une princesse » disait-elle avec préciosité. Depuis ce jour, ses congénères l’appelaient « Princesse », mais n’osaient pas trop se moquer, car c’était la plus belle d’entre elles et donc la plus populaire, comme il se doit.
Son autre passe-temps était la traque et le harcèlement d’une musaraigne appelée Marotte, tout cela parce que la petite créature lui avait un jour déclaré, alors qu’elle se mirait : « Tu te trouves belle, mais l’hermine l’est bien plus que toi avec sa pelisse blanche de magistrat. »
Depuis, Sidonie attrapait Marotte ou, faute de la trouver, d’autres membres de l’espèce au moins une fois par jour en menaçant de les dévorer. Pourtant, comme chacun sait, la musaraigne étant insectivore, non rongeur, mais souricidae, sa chair a un goût si épouvantable que même celui de la vengeance ne suffit pas à le faire passer chez une belette distinguée.
Marotte s’en mordait les griffes… elle savait qu’elle aurait mieux fait de se taire, comme lui recommandait sa mère, mais un bon mot vaut mille vers de terres. À part ce travers, c’était pourtant une petite créature inoffensive qui passait le plus clair de son temps à chasser le scarabée en compagnie de ses semblables. Aucune gausserie ne mérite violence en retour, mais certaines guerres furent ainsi déclarées sur un ricanement de prince.
Un jour, le préjudice moral ayant surpassé la terreur, une délégation de musaraignes se présenta chez le magicien Raah de Gondin, un herbivore très sage qui se gavait cependant de moules et écrevisses d’eau douce, un rongeur de belle prestance, bien trop gros pour être mangé par de petits carnassiers antipathiques.
-
Maître, lui dirent-elles pour flatter son ego, nous venons vous voir parce que Sidonie la Belette, pseudo Princesse, nous gâche la vie, car elle nous empêche de chasser la sauterelle en nous faisant sursauter toute la journée, si bien que nos enfants souffrent de malnutrition. Pourriez-vous lui jeter un sortilège de votre composition pour la rendre plus gentille ou plus laide ou ce qui vous semblerait utile à l’équilibre de la diversité, s’il vous plaît ?
- Je vais y réfléchir, leur promit Raah qui se retira dans l’étang avec un énergique mouvement de queue spiraloïde et un « plouf ! » souverain.
Or donc, au crépuscule, alors qu’il déambulait au bord de l’étang pour y déguster l'herbe fine, il croisa Sidonie qui contemplait son image dans le miroir avec adoration.
- Bonsoir, lui dit-il en toute simplicité.
- Dégage vieux rat, lui répondit-elle, tu es si laid que tu pollues mon espace esthétique.
Le sang du magicien ne fit qu’un tour, si bien qu’il lui en concocta un second sans autre préalable.
- Balagan, balagan puella execrabilis !
- Qu’est-ce que… fit Sidonie, mais sa parole en sauvageon se mua en un cri strident de fille, si bien que le miroir se brisa… non sans lui avoir dévoilé sa nouvelle apparence… de princesse de panoplie !
Elle se précipita au-dessus de toutes les mares avoisinantes qui lui renvoyèrent la même image.
Humaine.
Le magicien l’avait transformée en jeune fille ! Finis la jolie figure de belette, le pelage soyeux aux reflets profonds, mordorés, l’élégance de la taille infiniment souple, la dérobade aérienne, la voilà avec une peau glabre, une démarche raide, maladroite, et des HABITS roses. Elle se trouva si laide qu’elle s’évanouit.
Un jeune homme de belle allure qui passait sur le chemin dans son cross-over électrique bleu caméléon perle métallisé, s’arrêta net, intrigué. Lorsqu’il découvrit la jeune fille en rose fuchsia, inanimée, il la prit dans ses bras, mais ne l’embrassa point, car ça ne se fait pas sans autorisation.
- - Où suis-je, qui suis-je ? balbutia-t-elle.
- - Vous êtes dans la Forêt sauvageonne, mademoiselle. Mais je ne vous ai jamais vue en ces lieux ni en nul autre.
- - Je m’appelle Princesse, dit Sidonie, en procédant au tri de ce qu’il fallait dire ou taire à un rustaud de cette espèce humaine crainte par-dessus tout.
- - Joli nom, dit le garçon déjà conquis.
Et il décida tout de go de l’emmener auprès de ses parents dans leur grande demeure faussement ancestrale qui jouxtait la forêt dont ils possédaient quelques centaines d’hectares grâce au commerce international de cabanes dans les arbres pour bobos nantis en vacances.
À suivre…